Voilà où tout a commencé...
C'est la maison de mes grands-parents maternels, elle est située à Lacroix sur Meuse, un petit village qui se trouve entre Verdun et Saint-Mihiel.
Mon grand-père maternel était industriel laitier, et fut longtemps maire de cette commune où j'ai passé toute une partie de mon enfance.
C'était le paradis sur terre !
Ma grand-mère était une femme délicieuse, toute de charme et d'originalité. Ils eurent ensemble cinq enfants dont ma mère était l'ainée.
Je suis né le 7 septembre 1951à la maternité de Nancy, et huit jours plus tard je me retrouvais dans cette belle maison de Lacroix où ily avait toutes les commodités pour s'occuper de moi et permettre à ma Maman de se remettre.
C'était une maison extraordinaire et je vous en livrerai les secrets, construite en deux fois (au fur et à mesure que les affaires de mon grand-père prospéraient) juste au dessus de la fromagerie.
Un peu plus loin sur la route de Lamorville était situé l'inévitable élevage de porcs : "Elevage des terres rouges" (que tout le monde surnommait Cochonville), complément économique évident d'une industrie fromagère. En effet, dans le cycle de la fabrication du fromage, il en ressort une matière seconde appelée "petit lait", or, plutôt que le jeter il était utilisé en complement nutritif aux farines d'alimentation des cochons.
Cet élevage était parfaitement géré, et mon grand-père était fier des magnifiques "Large Whites" qui y étaient produits.
De petites maisons, au milieu de terrains herbus, servaient d'abris aux verrats adultes, les gorrets étaient un peu à l'écart,
quant aux truies elles bénéficiaient d'une véritable maternité chauffée pour pouvoir mettre bas et nourrir leurs petits.
A partir de cette époque-là mes parents résident à Ermont, en région parisienne, la famille s'agrandit en 1953 avec la venue de mon frère cadet Vincent qui nait à Commercy (le voici sur mes genoux) puis viendra Antoine en 1956, lui aussi né à Commercy.
Nous faisons de fréquents séjours à Lacroix pour des vacances ou de grands évenements familiaux à Paques, à la Toussaint ou à Noël.
Pour Paques se sont bien sûr les longs services religieux (qui me paraissaient durer des éternités) dans une immense église souvent
glaciale. Mais après les cloches revenant, c'était la chasse aux oeufs dans le jardin. Que de bonheur ! La semaine précédente nous faisions
cuire des oeufs pour les rendre durs et nous les décorions de la manière la plus attentive, au début, puis de plus en plus anarchique par
la suite. Ils étaient vendus à l'issue de l'office de Paques pour les oeuvres de la paroisse, ou remis aux membres de certains corps de métiers.
Plus tard, lorsque je serai plus grand je participerai au rénage
Le « rénage »
Jadis, l’usage de la crécelle était réduit à la Semaine Sainte, durant laquelle les cloches n’ont pas le droit de sonner (puisqu’elles sont parties à Rome), soit du jeudi au samedi midi.
Et ce sont les enfants, et traditionnellement les enfants de chœur, qui agitaient leurs crécelles pour annoncer l’Angélus et les offices.
En Lorraine, la ferveur populaire permit un usage intensif, attendu, festif et tardif des crécelles.
Le rénage était une sorte de club très fermé (Pas de petits ni de filles) qui se créait autour des enfants de cœurs et l’on y entrait par cooptation. Très « démocratiquement » un chef était élu (en général le plus âgé et le plus costaud ce qui ne prêtait pas à contestation, ou rarement) et il distribuait tâches et avantages.
En premier lieu il fallait trouver un abri où se réunir en cas de pluie ou de froid. En général nous choisissions de nous installer sous le bâti de l'une des grandes fontaines du village car il y avait de la place et que le monument en pierre ne pouvait prendre feu lorsque nous y installions un braséro pour nous réchauffer au petit matin ou tard le soir.
Ensuite, chacun apportait quelques provisions et boissons chipées aux parents. Apporter un paquet de cigarettes de type P.4 ou Gauloises, mieux encore une "topette" de mirabelle que ne consommaient que les "grands" et en premier le Chef, permettait de monter en grade plus rapidement. Sinon cela se faisait uniquement à l'âge.
Les « réneurs » déambulaient dans les rues du village à l’aube puis à midi et enfin le soir, pour annoncer tous les offices religieux de la semaine Sainte.
Chaque matin nous nous donnions rendez-vous au rénage à 6h45 au plus tard, l'un allumait le feu, les autres rangeaient casses-croute, chocolat et boissons.
A sept heures du matin nous partions, une bonne dizaine, arpenter les rues du village en criant " c’est l’Angélus, réveillez-vous "; même si la plupart des cultivateurs étaient déjà à la traite des vaches et ceux qui dormaient encore n’appréciaient peut-être pas. Il faut une bonne heure pour faire le tour du village et cet exercice vous met en voix, et donne soif.
A midi, on recommençait avec "Il est midi, rentrez chez vous " et encore pour l’Angélus du soir qui annonce l’office à l’église: car on allait aux offices: jeudi Saint, vendredi Saint, veillée Pascale, et dimanche de Pâques: un rythme ancestral pour animer cette période. Heureusement, durant la veillée pascale, les cloches rentrées, sonnent à grande volée: les crécelles sont rangées pour l’année suivante.
Le lundi de Pâques, le petit groupe distribuait aux habitants, l’eau bénite au cours de la veillée pascale et ainsi recevait en récompense: pièces de monnaie, œufs, bonbons et confiseries. Parfois, quand l’eau bénite venait à manquer, on la rallongeait un peu à la fontaine…
Certains corps de métiers recevaient un œuf teint et/ou décoré pour Pâques : métayers, instituteurs, facteurs, cordonniers, forgerons, …
La Saint-Nicolas
Ils étaient trois petits enfants
Qui s'en allaient glaner aux champs.
S'en vont au soir chez un boucher.
« Boucher, voudrais-tu nous loger ?
Entrez, entrez, petits enfants,
Il y a de la place assurément.»
Ils n'étaient pas sitôt entrés,
Que le boucher les a tués,
Les a coupés en petits morceaux,
Mis au saloir comme pourceaux.
Saint Nicolas au bout d'sept ans,
Saint Nicolas vint dans ce champ.
Il s'en alla chez le boucher :
« Boucher, voudrais-tu me loger ? »
« Entrez, entrez, saint Nicolas,
Il y a d'la place, il n'en manque pas. »
Il n'était pas sitôt entré,
Qu'il a demandé à souper.
« Voulez-vous un morceau d'jambon ?
Je n'en veux pas, il n'est pas bon.
Voulez vous un morceau de veau ?
Je n'en veux pas, il n'est pas beau !
Du p'tit salé je veux avoir,
Qu'il y a sept ans qu'est dans l'saloir.
Quand le boucher entendit cela,
Hors de sa porte il s'enfuya.
« Boucher, boucher, ne t'enfuis pas,
Repens-toi, Dieu te pardonn'ra. »
Saint Nicolas posa trois doigts.
Dessus le bord de ce saloir :
Le premier dit: « J'ai bien dormi ! »
Le second dit: « Et moi aussi ! »
Et le troisième répondit :
« Je croyais être en paradis ! »
Saint Nicolas est omniprésent en Lorraine et les enfants attendent avec impatience son arrivée, le 6 décembre, depuis le Moyen Age, car il apporte cadeaux et friandises, comme le Père Noel et peut être même mieux que le Père Noel !
Le 5 décembre au soir, dans chaque famille, devant la cheminée, on place quelques sucres ou des carottes (pour la mule) et un petit verre de mirabelle (pour Saint-Nicolas).
Il passe dans la nuit et dépose des surprises aux enfants sages. Mais aussi des martinets (des fouets !) à ceux qui n’ont pas été sages.
Le verre est vide et la mule a mangé ce qu’on avait prévu pour elle. C’est la fête à la maison mais aussi dans les rues et à l’école où Saint-Nicolas à la barbe blanche, avec son manteau rouge, équipé de sa crosse d’évêque, passe aussi. Il apporte des livres et du pain d’épices.
Parfois, il est accompagné du Père Fouettard*, beaucoup moins apprécié des enfants qui comme son nom l’indique, punit les enfants désobéissants.
Mais que vient faire cet évêque de Myre en Lorraine ?
En 1087, le Sieur Aubert de Varangéville revenant de croisades, déroba à Bari, en Italie du sud, une relique de St Nicolas (une phalange…qui bénit) pour la rapporter en Lorraine. Il édifia au bord de la Meurthe une église pour les abriter et créa ainsi Saint-Nicolas-de-Port.
Comme la relique faisait des miracles, le bourg devint un lieu de pèlerinage important ainsi qu’une étape sur la route de Compostelle.
Chaque année, depuis 1245, le samedi le plus proche du 6 décembre, la basilique accueille une procession aux flambeaux autour des reliques du Saint.
* Qui est donc le Père Fouettard ?
En fait il apparait lors de la bataille de Nancy en 1476 , le bon roi René II est assiégé durant un an par le Duc de Bourgogne, Charles le Téméraire (qui se vêtait intégralement de noir)
Le siège dura un an, René II n'avait presque plus de troupes. A cette époque les mères de familles faisaient courir le bruit, auprès de leurs enfants turbulents, que "l'homme en noir" s'ils n'étaient pas sages, viendrait les enlever.
Le dimanche 5 janvier 1477, avant l'aube, René II quitte Saint-Nicolas de Port, son armée avance dans la campagne lorraine recouverte de neige. À Laneuveville, des éclaireurs repèrent un guetteur bourguignon et le tuent. Désormais, le Téméraire ne sait rien de l'armée qui arrive. Les capitaines et René II, sur les rapports des éclaireurs, décident de contourner l'armée bourguignonne par le bois de Saurupt pour l'attaquer de flanc et, pour donner le change, envoient un petit détachement, commandé par Vautrin Wisse, par la route de Nancy à Saint-Nicolas.
L'effet de surprise est total et le sort de la bataille se joue en quelques minutes. Josse de Lalaing reçoit le premier assaut, est grièvement blessé et est fait prisonnier. Il ne sera libéré que le 4 mai. Jacques Galleotto, blessé, s'échappe avec ses troupes le long de la Meurthe, la traverse au gué à Tomblaine et s'enfuit vers le nord.
Charles le Téméraire tente de se tourner contre l'assaillant, mais l'ensemble de ses maigres troupes se disloque et s'enfuit. Campobasso tient le pont de Bouxières, au nord de Nancy, et massacre les fuyards, se contentant de ne faire prisonnier que les seigneurs importants, dont Olivier de la Marche et Jean Ier baron de Talmayet seigneur d'Heuilley-sur-Saône qui fut emmené en Lombardie. Les défenseurs de la ville font une sortie et pillent le camp bourguignon.
Ce n'est que le surlendemain, sur les indications de Baptiste Colonna, un page du duc de Bourgogne qui l'a vu tomber à proximité de l'étang Saint-Jean, que le corps méconnaissable de Charles le Téméraire est retrouvé et identifié ainsi que celui de Jean de Rubempré (nommé par le Téméraire gouverneur général de Lorraine), mort à ses côtés. La tradition rapporte sans grande certitude qu'il est en partie dévoré par les loups. Il est inhumé avec grand soin à la collégiale Saint-Georges. Une croix est posée pour marquer le lieu de la mort du Téméraire, qui correspond à l'actuelle place de la Croix de Bourgogne.
L'histoire dit que c'est grace à la protection de Saint Nicolas que René II vainquit le Téméraire et que ce dernier, pour expier ses péchés, devrait laccompagner le bon saint protecteur de la Lorraine et le servir pour l'éternité.